Les émeutes de 2005: les faits

Le 27 octobre 2005, à Clichy-sous-Bois, en fin d'après-midi, une dizaine de Clichois reviennent à pied du stade Marcel-Vincent de Livry-Gargan, où ils ont passé l’après-midi à jouer au football. En chemin, ils passent à proximité d’un grand chantier de construction. Un riverain suscpecte un vol sur une baraque du chantier et appelle le commissariat de Livry-Gargan. La Brigade Anti-Criminalité y est envoyé. La police nationale essaye alors d’interpeller six jeunes individus d'origines africaine ou nord africaine : quatre dans le parc Vincent Auriol et deux autres dans le cimetière qui jouxte le poste de transformation EDF où se sont réfugiés trois autres fuyards, à savoir Bouna Traoré (15 ans), Zyed Benna (17 ans), et Muhittin Altun (17 ans), qui prennent alors la fuite. En essayant de se cacher dans un transformateur, Bouna Traoré et Zyed Benna meurent par électrocution. Le troisième, Muhittin Altun, est grièvement brûlé, mais parvient à regagner le quartier.

 

La première réaction du ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy dédouane a priori les policiers et parle de vol a priori en ce qui concerne les jeunes: «Lors d'une tentative de cambriolage, lorsque la police est arrivée, un certain nombre de jeunes sont partis en courant. Trois d'entre eux, qui n'étaient pas poursuivis physiquement, sont allés se cacher en escaladant un mur d'enceinte de trois mètres de haut qui abritait un transformateur. Il semble que deux d'entre eux se soient électrocutés..."

Le premier Ministre Philippe De Villepin dira:  «Il s'agit, selon les indications qui m'ont été données, de cambrioleurs qui étaient à l’œuvre».

Selon les enquêteurs aucun vol n'avait été commis.

Un résumé de cette affaire qui déclenche les émeutes est en lien.

L'analyse

Les réactions sont assez étonnantes. Je te présente deux explications des émeutes qui me paraissent originales:

Hélène Carrère d'Encausse, éminente historienne, spécialiste de l'Union soviétique et secrétaire perpétuelle de l'Académie française, a expliqué la crise des banlieues françaises à la chaîne de télévision russe NTV dans les termes suivants :

«Ces gens, ils viennent directement de leurs villages africains. Or la ville de Paris et les autres villes d'Europe, ce ne sont pas des villages africains. Par exemple, tout le monde s'étonne : pourquoi les enfants africains sont dans la rue et pas à l'école ? Pourquoi leurs parents ne peuvent pas acheter un appartement? C'est clair, pourquoi : beaucoup de ces Africains, je vous le dis, sont polygames. Dans un appartement, il y a trois ou quatre femmes et 25 enfants. Ils sont tellement bondés que ce ne sont plus des appartements, mais Dieu sait quoi ! On comprend pourquoi ces enfants courent dans les rues

C'est aussi pourquoi les noirs courent plus vite: tout ça c'est la polygamie....

 

La subtile analyse sociologique de Gérard Larcher est aussi remarquable:

SANS DOUTE PLUS INTÉRESSANTE

A propos de la construction médiatique des émeutes Naser Tafferant (Haute école de travail social Genève) écrit:

Dans cet empressement médiatique qui voit apparaître dans ces cités jusque-là sans importance les télévisions étrangères, les discours stéréotypés sur les jeunes de banlieue inondent le débat public. Vivement attachés au thème de l’insécurité, les « faiseurs d’opinions » que sont la presse et les élus médiatisés évoquent ce qui, selon eux, pousse ces jeunes à embraser leurs quartiers : dans ces « ghettos », l’avenir incertain serait la cause du repli sur soi et du détachement de tout intérêt pour la vie politique, ce qui les conduirait à marquer leur indignation par le feu plutôt que par le bulletin sagement glissé dans l’urne. Outre-Atlantique, à l’Université de Berkeley en Californie, le sociologue Loïc Wacquant tient une conférence sur les émeutes qui ont cours dans les banlieues françaises et aborde la question de leur traitement médiatique par la télévision française. L’hypothèse qu’il avance est l’écart manifeste entre gravité réelle et gravité virtuelle des faits (en termes de disparitions humaines et de dégâts matériels). Il rapporte ainsi les émeutes françaises à celles qui ont secoué le quartier de South Central à Los Angeles au mois d’avril 1992. Le constat est sans appel : bien qu’il s’agisse, d’un côté, de la mort par électrocution de deux jeunes poursuivis par la police et, de l’autre côté, du lynchage d’un automobiliste afro-américain suite à son interpellation (la bavure policière étant dans les deux cas montrée du doigt), et bien que les populations révoltées diffèrent selon leur histoire sociale et politique, les médias français ont versé dans la surenchère sécuritaire (Mucchielli, 2001), au point de laisser penser qu’au sujet des émeutes dans le pays : on n’avait jamais vu ça !

Alors qu'il ne s'agit pas des premières émeutes loin de là, puisqu'elles se manifestent régulièrement depuis 1970. Ce qu'il affirme aussi c'est que le traitement de l'information ne ce fait que sur le mode sécuritaire, renforçant les points de vue des politiques "oscillant entre entre populisme (telle a été la position du maire de Clichy-sous-Bois soutenant la contestation juvénile) et sentiment d’outrage que leur inspirent ces émeutiers au comportement jugé « irrationnel » et « injustifiable » (selon les tenants de l’idéologie sécuritaire), il est inutile de se perdre en conjectures, et pour résoudre les problèmes des cités, il suffit de neutraliser par la force les fauteurs de troubles qui malmènent la vie des honnêtes gens...)". Il rejoint Michel Kokoneff pour dire que l'objet ou la conséquence de cette médiatisation construit une spoliation de la parole des émeutiers. Métaphoriquement on peut résumer par un " Il faut savoir se tenir avant de tenir des propos dignes d’attention"  et en attendant on va réfléchir à ta place. La conséquence sera probablement la mise en gestation de la prochaine vague d'émeutes.

Quand on tente de se pencher sur le sens des émeutes  Michel Kokoneff (CESAMES Paris 5 – CNRS – INSERM) note:

"Dans la perspective des travaux d’histoire sociale du XIXe siècle, Lapeyronnie définit l’émeute comme le fait des primitifs de la révolte (reprenant Eric Hobsbawn), c’est-à-dire de tous ceux qui n’ont pas d’autres moyens d’expression de leur révolte que les violences collectives. Or l’enjeu de ces dernières est clair: il s’inscrit dans un contexte de durcissement des rapports entre la police et les jeunes, et au-delà – on ne le dit pas assez – d’une partie de la population habitant les cités qui nourrit un fort ressentiment à l’égard des institutions de façon plus générale. Il s’agit bien dans cette perspective de considérer que la parole des émeutiers n’est pas vide mais, au contraire, pleine de sens."... "L’émeute possède sa logique propre. C’est donc d’elle qu’il faut partir pour éclairer l’ordinaire de la vie sociale dans les cités dégradées, le climat de tensions qui y règne et les phénomènes qui l’alimentent, plutôt que l’inverse."

Il poursuit référence à l'appui:

"Le racisme institutionnel de la police, les pratiques discriminatoires à l’encontre des jeunes « de couleur », la pression exercée sur les cités et ses habitants qui en rejettent le stigmate tout en ne cessant de s’y identifier, sont des faits assez documentés pour qu’on n’y revienne pas ici dans le détail. Du coup, si révolte il y a, elle ne se fait pas au nom d’une culture populaire mais d’une expérience négative du rapport à la police. Elle n’est pas le fait de nouvelles classes dangereuses mais de victimes du harcèlement policier. Elle ne met pas en jeu des forces sociales mais une révolte contre les forces de mort. Comme le dit l’auteur, la loi se change en oppression: un «cadre d’injustice» se substitue ainsi au «cadre dominant» et ouvre l’espace de l’action. Que l’émotion libère les potentialités d’action, on peut s’en convaincre dans les belles pages sur les manifestations et marches silencieuses. Ce qui est en jeu, ce sont ni plus ni moins une protestation morale et une demande de respect."

Nous refoulons tellement bien ce phénomène discriminatoire et de dominance raciale par la « loi » que nous nous sommes privés de tout outil d'étude statistique concernant les ethnies (lien à déclencher à 10mn05s). Nous considérons raciste d'étudier les ethnies!! Ce point de vue ne m'avait pas choqué, j’étais même plutôt sensible au fait de ne pas reconnaitre l'existence de races avec tout ce que cela engendre. Jusqu'au jour où à un congrès j'assiste à la conférence du Professeur Carl Hart de Columbia (NY). Il nous expliquait qu'alors que le crack et la cocaïne sont des produits pharmacologiquement identiques, les lois les concernant étaient différentes. Elles sanctionnaient plus les consommateurs de crack qui étaient pauvres et noirs, que ceux qui consommaient de la cocaïne qui étaient blancs et plus fortunés... (c'est lui à la conférence ci-dessous)

Il avait été nécessaire d'aller jusqu'à la cour suprême pour amendé ces lois discriminatoires, car pour un même délit il est impossible d'avoir deux peines. C'était passionnant qu'un spécialiste de la neurobiologie s’inquiète de la question sociologique. J’attendais avec intérêt la discussion avec les experts français. Lorsque le Pr Hart a interrogé nos collègues sur les statistiques ethniques des prisons françaises, la réponse a été que nous ne pouvions avoir ce type de statistiques car la loi nous l'interdisait pour des raisons éthiques... Quelle ne fut pas sa réaction éberluée. Ils nous a dévisagé et nous a dit son inquiétude pour une nation qui ne pouvait se pencher sur les discriminations dont elle pouvait être actrice. A ce moment là j'ai pris conscience brutalement qu’en fait nous ne voulions pas savoir. Le déni m’est paru évident. Le mien aussi...

A ce propos Michel Kokroneff précise:

"les caractéristiques de l’espace politique et idéologique en France, et a fortiori l’appareil statistique d’État ne permettent pas une reconnaissance des minorités ethniques (Tribalat, 1995; Simon, 1997, 2006 ; Fassin, 1999). Il en résulte une profonde distorsion entre l’imaginaire (l’égalité des droits et des chances, le dialogue démocratique) et le réel (les discriminations sont présentes dans tous les domaines de la vie sociale: école, logement, travail, santé, etc.). Déjà, en 1991, il était tout à fait caractéristique de relever l’absence des «Blancs», Français de souche, parmi les émeutiers de Vaulx-en-Velin (Begag, 1991, 114-115). Depuis la fin des années 1970 jusqu’au milieu des années 1990, la part des « Beurs » dans les violences collectives et les affrontements avec la police dans les cités a été centrale, du fait de leur exposition aux pratiques arbitraires et au mépris, avant que les strates les plus récentes de l’immigration subsaharienne n’apparaissent comme les acteurs centraux des émeutes de novembre (Lagrange, Oberti, 2006)."

Ainsi cette cécité volontaire entraîne également une distorsion dans les moyens de l'intervention de l'état. A la différence de l'Angleterre et des État unis qui tente de réformer leurs service de Police la France est enferrée dans des réformes impossible (Dominique Monjardet). Le débat n'a donc jamais porté sur les relations impossible entre l'appareil répressif d'état et les jeunes émeutiers. Ceci d'autant plus que la réponse politique s’était contenter de diaboliser "les racailles" pour mieux légitimer la répression des fauteurs de troubles. Ceci revient à générer la peur chez les électeurs puis de les rassurer artificiellement.

En résumé on pourrait se dire qu'à chaque tentative d'expression des "banlieues", marche pour l'égalité et contre le racisme de 1983, ou émeutes de 1970 à nos jours, la même mécanique se met en marche. L'absence de statistique ethnique, la pression exercée par l'appareil répressif d'état et les discriminations dont sont victimes cette population, favorise le lancement du Juke box médiatique qui s'accorde merveilleusement avec la narration politique d'un conte dans lequel des voyous agitent ses banlieues et qu'un petit coup de karcher suffirait à tout changer. L’oppression exercée sur ces populations renforcent la mécanique d'exclusion. La boucle est en place.