Charlie Hebdo après Janvier 2015

Les attentats de janvier 2015 en France sont une série d'attaques terroristes islamistes qui visaient la rédaction du journal Charlie Hebdo, des policiers et des clients d’une supérette cachère, et au cours desquelles dix-sept personnes ont été tuées et leurs trois assassins abattus par les forces de l'ordre.

Tout débute le mercredi par l'attentat contre Charlie Hebdo, au siège du journal satirique à Paris deux djihadistes français, les frères Kouachi, assassinent onze personnes – dont huit collaborateurs du journal – et en blessent onze autres avant de tuer durant leur fuite, un policier déjà blessé et à terre. Les frères Kouachi sont finalement abattus deux jours plus tard par le GIGN dans une imprimerie où ils s'étaient retranchés, à Dammartin-en-Goële, au nord de Paris. L'attentat est alors revendiqué par Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (AQPA), basé au Yémen.

Le , Amedy Coulibaly, un français proche des frères Kouachi, tue par balle une policière municipale et blesse grièvement une autre personne à Montrouge. Le lendemain, il prend en otage les clients d’une supérette cachère à la porte de Vincennes à Paris et en tue quatre. Il est finalement abattu lors d'un assaut du RAID et de la BRI. Il affirmait agir au nom de l'organisation djihadiste de l'État islamique qui n'a cependant pas revendiqué son acte. Ces actions ont été coordonnées avec celles des frères Kouachi.

Les événements résonnent aussi bien en France qu'à l'étranger : plus de quatre millions de personnes manifestent lors des « Marches républicaines » des 10 et 11 janvier sur tout le territoire français, quarante-quatre chefs d'État défilent à Paris le dimanche en compagnie de plus d'un million et demi de personnes. De nombreux rassemblements de solidarité ont par ailleurs lieu un peu partout dans le monde les jours suivant les attentats. Après le et pour une durée indéterminée, dans le cadre de l'opération Sentinelle, près de 10 500 militaires sont déployés en France pour sécuriser 830 points sensibles (lieux de culte, écoles, représentations diplomatiques et consulaires, organes de presse). Le , la Belgique prend également les mêmes mesures en déployant des militaires afin de sécuriser les points sensibles du territoire dans le cadre de l'Opération Vigilant Guardian, équivalent belge de l'Opération Sentinelle française.

 

Entre 1992 et 2000, en Algérie (mon autre pays), la guerre civile entre GIA-FIS et les militaires a fait 100 000 morts. La grande majorité de ma famille vivant à Alger, la mort due aux fondamentalisme religieux m'était plutôt familière. Un de mes oncles menacé par ce conflit avait demandé asile à la France sans succès puis avait été accueilli au Québec. Le mois précédent j'avais lu un article sur les 15000 morts et le millions de déplacés dus à Boko Haram, dans l’indifférence la plus totale et j'en avais été affecté. Cela chauffait en France. L'impact médiatique des attentats de janvier me semblait disproportionné. J'étais sidéré par ce qui s’était passé, mais la même mécanique relativiste qui m'aidait à avaler toutes les couleuvres nauséabondes sus décrites, m’empêchait de prendre la mesure de ce qui  se passait. C'est le "ils ont tué Cabu, Nazim, tu te rends compte..." d'un ami et les pleurs de P Pelloux qui décrivait les tentatives désespérées de réanimation qui m'a ramené sur terre. Très vite je redoutais les conséquences de ces attentats. Si de manière ambivalente, j'avais pu nié le choc de ces images d'une part et d'autre part m'effondrer seul devant ma radio à l'écoute de Patrick Pelloux, les deux mondes dont je suis, pouvaient aussi vivre les choses avec un extrémisme radical et un simplisme auquel je ne suis pas sensible. J'ai senti que d'un coté, la foule nationale vibrait à l'attaque, dans un élan d’indifférenciation et d'unicité, propre à créer la chair à canon ou le fanatisme. Et de l'autre était perceptible la résistance viscérale à une identification possible aux victimes des attentats de Charlie. Depuis Khaled Kelkal  je pensais qu'il couvait dans notre pays le spectre d'une guerre civile larvée qui rejouerait le match d'une nouvelle guerre d'Algérie qui n'a jamais vraiment été digérée des deux cotés.

Athée je priais néanmoins pour que cette lame de fond, liant les français par ce qu'ils ont de commun, puisse laisser libre les expressions dissonantes potentielles. En effet des hommes venaient de mourir pour la liberté d'expression alors il fallait s'exprimer. J’étais donc inquiet pour ces voix qui étaient susceptibles de rappeler que tous les terroristes étaient des enfants de la France mort dans ce drame. Que le fait de perpétuellement frustrer, opprimer, contraindre une population à s'assimiler dans une ressemblance impossible tout en lui refusant l’accès aux mêmes droits a des conséquences. Qu'il était peut être temps de se rassembler malgré les différences en les respectant. Je me disait que le modèle assimilationniste avait fourni suffisamment de colère à mes congénères et qu'il fallait l'amender. Je ressentais cette violence en moi-même, et il m'était déjà arrivé de penser que devenir l'ennemi public numéro un, aurait pu être mon destin si j'avais eu moins de chance ou plus de rage. Moi qui passerais pour un bruxellois, qui avais subi un minimum de violence ressentais néanmoins cette agressivité.

D'une manière assez folle on opposa aux terroristes de l'Islam, dont ou oubliera la nationalité, la minute de silence qu'on annoncera par les cloches de la Cathédrale Notre Dame de Paris. Laïcité oubliée dans la nation catholique que la France est, zombie ou pas.

Dans le service ou je travaille, je ne donnais aucune consigne totalitaire imposant cette minute, laissant les collègues, les patients la faire ou pas.  Cela a perturbé, étonné des collègues je l'ai senti... Et là la machine sociale normative et paranoïaque s'est mise en route.  Tout à coup la nation imposait d’être avec elle ou contre elle. Et comme prévu les minutes de silence sont perturbées dans les écoles. Comment faire comprendre à des jeunes qu'il est indispensable de ce taire sur injonction de l'état, alors qu'ils sont discriminés, que leurs parents ont été discriminés par l'état, qu'ils subissent maintenant une discrimination religieuse d'état pour 'les protéger" et défendre une liberté d'expression qu'on leur refuse .

Ne m'en veut pas mais je suis incapable d'une cohésion groupe. Oui à l'esprit d'équipe mais non à l'identification aveugle au gang. Durant mon service militaire (et oui je l'ai fait) j'avais passé des tests psychotechniques et étonné les collègues chargés comme moi de la sélection des appelés et engagés de la marine nationale. J'avais réussi à avoir la note maximale en sociabilité et une note nulle en "esprit de corps". Ça se vérifie. Je suis Franco-Algériens mais je me sens belge à Bruxelles, Suisse à Genève. Dans une équipe de Handball je suis gardien, capable de féliciter un joueur adverse pour une belle action, même si mes encouragement allaient à mon bord. Toujours avec, mais jamais dedans. Psychiatre (sans blouse) et Addictologue, Libéral et Publique, bref j'ai toujours affirmé mes appartenances avec un aussi. C'est dans ma construction (d'immigré ?), et j'avais longtemps donné une métaphore pour expliquer cela. Je suis sur "un radeau entre...". Je suis Français aussi mais pas complètement, comme Algérien aussi, mais sans réelle conviction. Qu'on attaque une de mes appartenances et cela m'affecte, me met en colère, voire m’enrage. Je suis fier des deux mais n'ai aucune capacité de cohésion béate pour l'un comme pour l'autre. Même ma famille me reproche de prendre trop de liberté là ou je devrais faire bloc avec le clan. Alors être Charlie? Évidemment l'élan premier d'une cohésion nationale à la black, blanc, beur m'aurait séduit, mais on m'avait déjà fait le coup. Ma sympathie allait à toutes les victimes du terrorisme, mais je voyais des petits écriteaux "je suis Charlie" chez les commerçants du centre ville qui n'avait probablement jamais lu Charlie ni adhéré à leur gauchisme.  J'entendais la rue de droite et de gauche se réunir grondante comme elle venait de le faire ces dix dernières années contre l'Islam et ne pouvais donc pas être de cette partie là. Ainsi je n'ai jamais été Charlie car cela voulait dire épouser ce que Charlie représentait. Autant je désapprouvais le, "ils l'ont bien chercher" mais je ne pouvait considérer que leurs morts confirmaient la violence de leur propos. Non je pensais alors que Charlie, le terrorisme, la discrimination d'état appartenait au même phénomène systémique que j’abhorrais: le Racisme sous toutes ses formes. Et je le redoutais dans cette vague nationale qui pouvait tout écraser une dérive nationaliste dure..