Assimilationnisme ou multiculturalisme?

D'abord quelques définitions:

Selon Danièle Lochak, l'assimilation « suppose l’abandon de tout élément de la culture originelle de l’étranger qui doit se fondre dans la communauté d’adoption. Ce que ne sous-entend pas le terme d’intégration. La tendance assimilationniste est une constante de l’histoire de France, qu’il s’agisse du jacobinisme éradicateur des différences culturelles ou de la politique menée dans les colonies..."

 

Pour l'United Nations Educational Scientific Cultural Organisation (UNESCO) : "L’usage idéologico-normatif du terme multiculturalisme est celui qui génère le plus de débats. En effet, il constitue un slogan et un modèle pour l’action politique quant à la place des personnes avec une identité culturelle différente. Le multiculturalisme souligne que prendre conscience de la diversité ethnique et prendre des mesures pour que les individus puissent conserver leurs cultures vont de pair avec le respect et l’acceptation des principes constitutionnels et des valeurs communes d’une société. En prenant en considération les droits des individus et des groupes et en assurant leur accès aux services de la société, les avocats du multiculturalisme soutiennent qu’une telle pratique bénéficie à la fois aux individus et à la société en général en réduisant les risques de conflits sociaux. L’étroit parallèle entre l’usage idéologico-normatif du multiculturalisme et la vision des Nations Unies sur la diversité culturelle est ainsi évident."

 

Si nous nous Intéressons maintenant aux aspects historiques des ces deux termes, l'angoisse liée à la diversité des cultures prend sa racine dans une crainte humaine se symbolisant dans l'histoire biblique de Babel. 

Afin "d'exister" pour Dieu les hommes menés par le roi Nemrod décidèrent de construire une tour touchant le ciel. Pour les punir Dieu les séparèrent en les condamnant à des langues différentes, entrainant leur dispersion dans le monde. Si l'on s'éloigne, laïcs que nous sommes de la théologie, pour se pencher sur l'histoire et le déterminisme des modèles assimilationniste et multiculturaliste cela nous replonge au cœur du XVIII ème siècle. C'est la période ou les deux grandes puissances européennes, la France et la Grande Bretagne (l'Espagne, le Portugal, les Pays bas sont distancés) sont en pleine acquisition de leurs colonies et expérimentent leurs  conceptions différentes du rapport entre les cultures au sein des Empires.

Rappelons que la Grande Bretagne du XVII éme siècle est marquée par l'apparition révolutionnaire du Commonwealth d'Angleterre, république associant deux autres pays culturellement différents, l'Irlande et l’Écosse (1649-50), avant la restauration vers une monarchie constitutionnelle dirigée par Elizabeth 1er.

Après 1775, guerre d'indépendance américaine, et après la publication d'Adam Smith (1776) considérant le libre échange avec les colonies comme plus efficace que l'emprise coûteuse de la couronne sur elles, la Grande Bretagne défend un "self government" des colonies, tout en espérant en retour une allégeance. Cette conception décentralisée, puis l'octroi quasi automatique des indépendances des "colonies blanches", par la création du dominion du canada en 1867, puis de l'Australie (1901), de la Nouvelle-Zélande (1907) et de l'Afrique du sud (1910), ont de fait modifié l'équilibre normatif de la société. Ainsi des dominions comme le Canada ou l'Afrique du sud, voyait s'opposer en leur sein des cultures francophones, anglophone, néerlandophone par exemple (les autochtones n'étant pas intégrés dans l'équation à l'époque). C'est donc au départ par la nécessité d'exister, en apparence, en nation pacifiée, face à la couronne, que naît le multiculturalisme.

De l'autre coté de la manche, la France, quant à elle, est déjà un état centralisé à Versailles où tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains du roi. L'influence se joue à la cour, et les provinciaux n'ont pour se faire aucun rôle politique.  Tous les pouvoirs sont concentrés à Paris, même la langue se définit à l'Académie Française. En résumé la France culturelle, scientifique et politique, c'est Paris ou Versailles et elle a vocation de modèle international. La révolution verra la défaite des Girondins et reproduira voire renforcera cet état de fait. C'est dans ce contexte que le modèle assimilationniste voit le jour. Avant même la Révolution française, Condorcet écrivait que « Les peuples d’Amérique, d’Afrique, d’Asie et d’autres contrées lointaines semblent n’attendre que d’être civilisés et de recevoir de notre part les moyens de l’être et de trouver des frères parmi les Européens pour devenir leurs amis et leurs disciples. ».

On doit semble-t-il à Arthur Girault  le concept d'assimilation légale en tant que tel dans un ouvrage: "Principes de colonisation et de législation coloniale"(1894). L’assimilation, écrivait-il, « est l’union plus intime entre le territoire colonial et le territoire métropolitain ». Son but « est la création progressive de véritables départements français ». « L’assimilation, poursuivait Girault, doit être pensée comme l’héritière directe du projet de la Révolution française, car la Constitution de l’An III (1795) avait déclaré que les colonies étaient “partie intégrante de la République” ». C'est donc à partir des principes de 1789 que la colonisation devient assimilation. Les habitants de Saint-Louis au Sénégal, rédigent un cahier de doléances dès 1789 au même titre que les autres citoyens français. Les révolutionnaires considèrent les indigènes comme français dès lors que leur territoire est sous souveraineté française. Cela signifie également qu'ils pourraient prétendre aux mêmes droits que les citoyens français de métropole. Suivant ce principe la citoyenneté est accordé aux indigènes d'Afrique par l'Assemblée nationale législative de la Première République Française le 4 avril 1792. Cette citoyenneté se limite alors aux territoires français d'Afrique, à savoir l'Île Saint Louis à l'embouchure du fleuve Sénégal et l'Île de Gorée au large de la Presqu'île du Cap-Vert et aux vieilles colonies (Guadeloupe, Guyane, Martinique, la Réunion). Il faut ainsi voir que la république et ses colonies en expansion se défendent contre les attaques de la coalition monarchique européenne. L'assimilation devient le moyen d'englober les colonies dans une république une et indivisible. Aux Antilles elle signifie aussi la possibilité pour les anciens esclaves de remettre en cause l'ordre établi. Ainsi apparaissent des Joseph Bologne de Saint-George, Toussaint-LouvertureThomas Alexandre Davy de La Pailleterie, dit le général Dumas, qui constituèrent une avant-garde des émancipés de l'esclavage.

Malheureusement cette conception révolutionnaire de l'assimilation, relative à l'abolition de l'esclavage va disparaître. L'esclavage nécessite le déplacement de la population d'esclave vers les lieux de production du secteur primaire, ce qui est coûteux, inefficace et ostensiblement inhumain. Le passage à l'ère industriel va transformer la notion d'esclavage de déportation en celui d'un esclavage de colonisation. Une forme beaucoup moins centrée sur les idéaux de Condorcet et de Ferry (certes douteux car ethnocentrés mais bien intentionnés) qui concevait l'assimilation comme moyen d'accession, à la civilisation mais également à une forme d'égalité; une forme d'assimilation qui définira les bons  citoyens des mauvais va apparaître sur des caractéristiques raciales ou religieusesCeux qui pourront jouir de l'invasion en occupant peu ou prou une place à part entière et ceux qui resteront à la marge des droits humains, à qui on confisquera les terres ancestrales pour qu'ils les exploitent pour le compte des colons. La première expression éclatante de cette assimilation est le décret dit Crémieux (du nom d'Adolphe Crémieux). Il est le décret n 136 qui attribue d'office en 1870 la citoyenneté française aux « Israélites indigènes » d'Algérie, c'est-à-dire aux 35 000 « Juifs » du territoire. Il est complété par le décret n 137 portant « sur la naturalisation des indigènes musulmans et des étrangers résidant en Algérie » : pour ce qui les concerne, la qualité de citoyen français n’est pas automatique puisqu’elle « ne peut être obtenue qu’à l’âge de vingt et un ans accomplis » et sur leur demande. En pratique, selon l'historien Gilles Manceron, la naturalisation n’est que rarement attribuée aux indigènes musulmans qui restent sous le régime de l'indigénat. En matière pénale, les «indigènes» sont assujettis aux lois françaises, mais il leur est ajouté un régime d'exception. Il comprend des infractions et des peines particulières (internement, amende et séquestre) et exorbitantes, qui varient dans le temps et peuvent être collectives. Ces peines restreignent considérablement les libertés des indigènes et des confiscations vont permettre l'appropriation de leurs terres. En matière civile (état civil, mariage, héritage, etc.), les habitants dépendent par ailleurs de la juridiction de leur statut (en application est-il dit du traité de capitulation), le plus souvent la justice musulmane exercée par des « cadi » pour les autochtones. En d'autres termes plus d'assimilation culturelle mais un vrai différentialisme raciste. Malgré plusieurs tentatives d'amendement de la situation en Algérie rien ne bouge. Hubert Lyautey, qui suit de près les négociations avec les colons, note :

"Je crois la situation incurable. Les colons agricoles français ont une mentalité de pur Boche, avec les mêmes théories sur les races inférieures destinées à être exploitées sans merci. Il n'y a chez eux ni humanité, ni intelligence"

Ainsi quand on aborde la question de l'assimilation dans la politique coloniale Française, apparaît rapidement le régime de l'indigénat. Pour mieux comprendre ce qui sous-tend l'assimilationnisme français voici un extrait d'un texte d'Isabelle Merle:  

Comme la «France de Vichy», la «France coloniale» est trop souvent considérée comme un épisode borné dans le temps et tout à fait spécifique, produisant des situations et des dispositifs d'exception, sans rapport consubstantiel avec la France en tant que nation. C'est ce qu'affirme la sociologue Dominique Schnapper lorsqu'elle écrit que «le projet colonial était intrinsèquement contradictoire avec les principes des nations démocratiques. [...] En Algérie, partie intégrante de la France, on a pu voir naître cette monstruosité juridique par rapport aux principes de la démocratie moderne: la nationalité sans la citoyenneté.» Cette idée qu'il y aurait une exception coloniale au regard des principes républicains et démocratiques en vigueur en métropole n'est pas nouvelle. Elle court dans les milieux parlementaires et juridiques dès la fin du XIXe siècle pour justifier, ou à l'inverse pour dénoncer les spécificités du droit appliqué aux populations soumises dans les colonies, en particulier à propos du régime de l'indigénat. C'est à ce sujet d'ailleurs que le terme de «monstruosité juridique» est pour la première fois évoqué dans les débats parlementaires des années 1880. Comme le code noir avant lui, le régime de l'indigénat incarne la figure de l'exception juridique au sens où il s'agit «d'un ensemble de lois articulant une série de droits et de devoirs d'exception au concert général de la loi française ou, plus modestement, aux usages juridiquement retenus en métropole», selon la définition donnée par Louis Sala-Molins. Mais l'exception, comme le montre Giorgio Agamben, ne peut se penser en dehors de la norme. «Ce qui caractérise proprement l'exception, c'est que ce qui est exclu n'est pas pour autant absolument sans rapport avec la norme; au contraire, celle-ci se maintient en relation avec elle dans la forme de la suspension. La norme s'applique à l'exception en se désappliquant à elle, en s'en retirant.» Le régime de l'indigénat, qualifié d'exception en droit, ne peut être pensé en dehors des normes juridiques en vigueur en métropole, et plus généralement ne peut être pensé indépendamment du contexte dans lequel il est fabriqué: l’État français et la nation. Sauf à vouloir faire l'économie d'une réflexion sur les conditions mêmes qui ont rendu possible la production conjointe d'une nation et d'un empire comme tend à le faire D. Schnapper, on ne peut ignorer la question fondamentale que soulève l'étude d'un tel dispositif: la continuité de l’État. C'est là l'un des apports majeurs d'un certain nombre de travaux récents consacrés à l’État colonial que d'avoir tenté d'éclairer les tensions et contradictions qui accompagnent le processus de dilatation des États métropolitains lorsqu'ils deviennent impériaux. Plutôt que de situer les colonies dans une zone «d'exceptionnalité» qui suggérerait une radicale discontinuité entre la nation et l'Empire, ces nouvelles perspectives, développées en premier lieu outre-atlantique, insistent au contraire sur les continuités en considérant les colonies non comme des cas à part mais comme des cas-limites: des espaces où sont mis à l'épreuve les principes politiques et juridiques fondamentaux de la nation. Parmi les nouveaux dispositifs juridiques créés pour les besoins de l'Empire français, le régime de l'indigénat est indéniablement l'un de ceux qui ont soulevé les contradictions les plus aiguës dans la République.

 

Ainsi cette question qui relève d'un régime légal d'exception peut en dire plus long sur la norme, que l'étude de la norme légale pour certains sociologues. Ainsi prévu pour 7 ans en 1881 il perdurera jusqu'en 1946, s'appliquant de manière partielle ou totale sur toutes les colonies qui représentaient 12 millions de km 2 soit 20 fois la superficie de la France. Ce régime concernait 110 millions d'individus soit 3 fois la population française de l'époque. C'est la première trace d'un racisme systémique au sein de l'état français.

De manière très claire on découvre que les politiques français de l'époque se débarrasse de l'héritage de la république et de sa doctrine assimilationniste révolutionnaire. Olivier Le Cour Grandmaison cite dans "La République impériale. Politique et racisme d'état", les propos d'un député Maréchal:

"Après avoir transformé « le monde intellectuel de la France », enfin débarrassé de ses abstractions dangereuses – les droits de l’homme et les principes d’égalité et de liberté – au profit de l’observation et de l’analyse rigoureuses des phénomènes économiques, sociaux et historiques, ce « progrès » a permis l’élaboration d’une politique positive, déclare le député d’Alger. Positive, elle l’est notamment parce qu’elle rompt avec des conceptions générales mais inapplicables dans les colonies et favorise des orientations reposant sur les intérêts bien compris de la métropole ainsi que sur les particularités des contrées d’outre-mer et des populations « indigènes »."

Il poursuit par les phrases de Georges Leygues, ministre des Colonies et farouche adversaire de l’assimilation, qu’il juge coupable de nombreux maux:

"Comme Marchal, mais en tant que membre du gouvernement cette fois, il vante à son tour les mérites de l’association, qui seule peut assurer le succès de la métropole après la conquête rapide de nombreux territoires. Jugée plus adaptée à la diversité des « indigènes », et plus efficace pour cela, cette nouvelle politique permettra enfin de défendre avec « fermeté » les « prérogatives » et les « intérêts » de la «nation » partout « dans le monde », pour le plus grand profit des colonies et de la mère patrie. Ces propos confirment l’abandon de l’assimilation, et, pour récuser ceux qui chercheraient à la défendre encore, le ministre ajoute : il « faut y renoncer pour toujours ». "

Ainsi il apparaît que l'assimilation n'a concerné que les individus "racialement" considéré comme européens: les colons, les espagnols, italiens, maltais, les juifs. Il y a même une politique incitative de colonisation, puisque le régime douanier et fiscal est particulièrement favorable aux habitants des trois départements français d’Algérie, qui sont exemptés d’« impôts » ou en paient « le moins possible. On naturalise en masse les ressortissants d'autres pays européens. On légifère même spécifiquement par  la loi du 26 juin 1889 sur la nationalité française, destinée à permettre aux étrangers du Vieux Continent d’être facilement naturalisés. Les autres turcs, arabes, berbères sont assujettis.

"le célèbre publiciste François Luchaire résume ainsi la politique des hommes de la Troisième République : l’assimilation « est [...] susceptible de degrés. En effet, on peut vouloir assimiler la colonie à la métropole, la société locale à la société métropolitaine, en se gardant bien d’assimiler l’indigène à l’Européen »"...

Olivier Le Cour Grandmaison poursuit : 

"Structurellement discriminatoire, cette politique doit être analysée comme la continuation par d’autres moyens d’une véritable politique des races destinée, dans les colonies de peuplement comme l’Algérie notamment, à garantir la prééminence des Français pour mieux tenir les « masses arabes », toujours plus nombreuses mais toujours réputées incapables de se soustraire à leur arriération."

De là une conséquence majeure : l’assujettissement des « indigènes » et l’assimilation des hommes venus du Vieux Continent doivent être tenus pour les deux volets d’une seule et même politique visant à renforcer la puissance et le poids des colons à tous les niveaux. Plus encore, limitée aux seuls citoyens, l’assimilation favorise l’assujettissement en établissant entre la « communauté musulmane » et la « communauté française» d’Algérie une distance symbolique et juridique propre, par la sanction de l’inégalité de leur position dans la hiérarchie établie, à affermir l’ordre colonial.

En 1959, dressant le bilan de la politique impériale de la Troisième République, le professeur Gonidec écrit qu’elle s’est caractérisée, en dépit des discours officiels, par « beaucoup d’assujettissement, très peu d’autonomie et un soupçon d’assimilation». "...

"L’assimilation : un mythe politique destiné à faire croire en la compatibilité de la colonisation et des principes républicains, et à établir l’originalité de l’empire français comparé à ceux des autres puissances européennes".

 

Comment peut on encore nous ressortir la bouche en cœur cette mythologie de la particularité française d'une "intégration" par l'assimilation alors que cette tradition prend sa source dans une politique discriminatoire qui a concerné à 5% de l'humanité, et ou seules des considérations racistes ont permis cette intégration (seul les européens ont réellement eu des droits identiques)

Le parallèle avec le discours ambiant laissant croire que l'assimilation des européens n'a pas posé de problème, faisant porter aux africains la responsabilité de leur non assimilabilité. Alors que comme vous l'avez bien compris l'assimilation leur était destinée. Ces discours constituent la pierre angulaire qui a construit à la fois le régime de l’indigénat et la politique d'immigration en France. Les hommes politique depuis VGE sont persuadés de ce fait.

Connaissais tu cela ami(e)? Non je ne pense pas. On étudie pas cela à l'école. Et comme cela ne fait pas partie de notre histoire consciente, cela réapparaît dans le discours politique, sous une forme nauséabonde puisque maintenant il s'agit de défendre l'identité française qui serait menacée par l'invasion, de ceux qui (ouh les méchants) ne veulent pas se raser, manger du porc, être monogame, porter des mini-jupes... Il va falloir donc faire des lois pour eux, pour la laïcité, bien sur, et pour défendre les femmes, pas pour réduire les libertés d'une partie de la même population visée par les lois racistes de la III éme république Française. La tendance a vouloir à nouveau faire des lois d'exceptions est à l'ordre du jour.