La culture

Voila ce qu'écrit Xavier Darcos à propos du soft power qu'a constitué la culture pour la France dès le XVII éme siècle:

"D’abord, il faut pouvoir parler de l’héritage sans nostalgie. La tentation est grande, il faut bien le reconnaître. Marc Fumaroli a magnifiquement évoqué, dans son recueil Quand l’Europe parlait français , le règne de la France sur les esprits grâce à l’usage généralisé de sa langue parmi les élites du XVIIIe siècle. La pensée inventive, l’esprit de conversation, l’attitude critique  ne pouvaient s’exprimer que dans la langue de Voltaire. Au fond, le dessein du Grand Siècle, incarné par « les quarante » de l’Académie française, paraît avoir réussi au Siècle des Lumières : la langue française s’est élevée au rang de langue classique de l’Europe, elle était reconnue comme équivalent moderne du latin des Anciens. Peu de pays ont un tel passé. C’est même, sans doute, sans égal. Mais la nostalgie est inutile, nuisible même, si elle ne doit pas aider l’action aujourd’hui.

Nous ne sommes plus à l’époque où venaient étudier ou enseigner à Paris les meilleurs esprits de la planète. Ils prennent désormais le chemin des États-Unis, de la Chine, de Singapour – même si la France reste le quatrième pays au niveau mondial pour l’accueil et la formation des élites étrangères, en dépit d’une politique des visas très restrictive. Notre influence culturelle n’est plus assurée par l’essaimage de nos grands intellectuels, autrefois réclamés par les cours étrangères : Diderot en Russie, auprès de Catherine II ; Voltaire à la cour de Prusse, conseiller de Frédéric II. Nous ne créons plus de chaires universitaires dominantes dans de grands pays, comme le Brésil qui accueillait en 1945 Roger Caillois ou Claude Lévi-Strauss. Certes, nous prenons pied dans les pays du Golfe, comme le montre la Sorbonne à Abu-Dhabi. Mais nous reculons sensiblement en Afrique.

Je ne dis pas que nos écrivains et penseurs soient ignorés, surtout dans le domaine des sciences humaines, ni que nos artistes ne voyagent plus, notamment nos architectes. De même, nous rencontrons encore à travers le monde des personnes qui vouent à la France une profonde reconnaissance, parce qu’à un moment décisif de leur vie, une bourse d’étude ou l’invitation d’un centre culturel a déterminé leur carrière. Mais il est devenu de moins en moins fréquent – chacun d’entre nous peut s’en rendre compte au cours de ses voyages – que les élites étrangères aient une connaissance approfondie de la langue, de la culture et du savoir-vivre français. Elles trouvent même, parfois, notre prétention universaliste arrogante."

En 1995, notre confrère Jean-David Levitte, alors directeur général des relations culturelles, scientifiques et techniques, dressait un bilan sévère de l’action culturelle extérieure :

« L’image de la France à travers le monde, il faut en être conscient, tend à vieillir : tout se passe comme si, vues de New-York ou de Tokyo, la peinture française s’était arrêtée aux Impressionnistes, la musique à Debussy et Ravel, la littérature et la philosophie à Camus ou Sartre, la science à Pasteur... »

Peut-être faut-il lier ce diagnostic à la crise profonde que traversent aujourd’hui notre pays et sa culture. L’esprit de conquête s’efface. Il a dominé les décennies glorieuses de l’après-guerre au cours desquelles la France a changé de visage. Il a accompagné l’immense transformation qui a caractérisé ces années de prospérité et de progrès. Le monde regardait la vitrine culturelle d’une France victorieuse et entreprenante ; ses grandes figures culturelles étaient également celles de l’Occident, voire du Monde. Mais aujourd’hui, la France est en proie au doute au sujet de son identité...

... Le danger de l’uniformité menace aussi le domaine intellectuel : car, si tout le monde pense pareil, qui pense encore ?

Nous voici au cœur des enjeux actuels pour l’action culturelle française"

Quand je pense à la peinture Française, je pense d'abord à Léonard de Vinci. Étonnant que pour la grande majorité de nos contemporains le tableau le plus représentatif de notre peinture puisse être une œuvre d'un toscan du XVéme siècle. Avec 20000 visiteurs par jour c'est le tableau qui participe à l'affluence record du Louvre (premier musée du monde). Mais à vrai dire c'est au XIX éme et au XX éme siècle que nos artistes furent les plus productifs.

Si l'on s'en tient à la peinture, les grands monstres que sont Courbet, Renoir, Degas, Braque, Matisse, Leger, Delaunay, Cezanne, De Staël et bien d'autres ont bouleversé le monde de l'art. Ils ont et ont été influencés à Paris par des Van Gogh, Chagall, Picasso, Dali, Modigliani, Munch, Max Ernst...

Pour la musique citons Lully, un florentin naturalisé par Louis XIV, Frédéric Chopin Franco-Polonais, Serguei Prokofiev qui a composé de nombreuses années à Paris avant de retourné en Russie, Igor Stravinsky et Jacques Offenbach naturalisé Français, Aznavour, Regiani, Moustaki, Jacques Brel... et Johny Halliday.

Quant à la littérature le constat est alarmant. En excluant la littérature francophone et les Hemingway, Cioran non naturalisés mais ayant vécu en France, la littérature française a été fortement investie par des Français d'ailleurs ou carrément des français d'origine étrangères . Dans le désordre:

Guglielmo Alberto Wladimiro Alessandro Apollinare de Kostrowitzky né à Rome de nationalité Polonaise dit "Appolinaire", Alexandre Dumas dont le père bien que général d'empire n'en était pas moins mulâtre du nom de Thomas Alexandre Davy de La Pailleterie né à Saint-Domingue (actuelle Haiti), Marguerite Antoinette Jeanne Marie Ghislaine Cleenewerck de Crayencour, Belge dite Margueritte Yourcenar, Jean Giono Franco-Italien par son piémontais de père, Joseph Kessel Russo-Lituanien, Julien Green Franco-américain, Modiano né en France d'un père espagnol né à Salonique et d'une mère Belge, Margueritte Duras née en Indochine, Albert Camus né en Algérie, Jean Jacques Rousseau Suisse ayant vécu en France des dizaines d'années, Eugéne Ionesco qui est Franco-Roumain, Emile Zola dont le père est Florentin, Jean Le Clezio né à l’île Maurice de parents mauriciens, Milan Kundera naturalisé français...

En d'autre terme les périodes les plus fastes de notre culture sont celles, ouvertes aux autres cultures. Les apports de tous les immigrés, des enfants de l'empire, ont enrichi notre civilisation. La recherche de l'identité nationale est vaine car elle n'existe pas autour d'une ethnie, d'une religion, de mœurs, ce que les attiseurs de peurs utilisent pour comptabiliser les sondages. Elle réside dans une richesse mouvante de cultures qui d'une manière ou une autre voit dans l’idéal national une communauté culturel, l’intérêt en commun, ce portage de l'universel. Entre un léopold Cedar Senghor, un Cioran et un Victor Hugo la différence existe mais ils sortent de cette même matrice culturelle. N'y renonçons pas car encore une fois c'est notre patrimoine et notre particularité dans le monde. Soyons en fier ensemble mais dans cette optique ouverte, à la recherche des Senghor, Camus, Cioran, Sensal de demain plutôt que dans le clonage de d'Ormesson.